EIP, HP, APIE… : contradiction entre Haut Potentiel et mauvais élève

«La plupart des précoces sont de mauvais élèves alors qu’ils ont un haut potentiel»

 

Membre de la commission ministérielle sur les élèves intellectuellement précoces à l’Education nationale, Alain Salzemann éclaire les raisons pour lesquelles certains enfants précoces se retrouvent en grande souffrance scolaire. Et explique les principes adoptés par le collège Jean-Charcot de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), spécialisé dans la prise en charge de ces enfants, et dont il est le principal adjoint.

Comment expliquer que des enfants intellectuellement précoces se retrouvent en situation de souffrance scolaire, alors qu’il ont des capacités qui devraient les faire réussir plus facilement que les autres ?

Les enfants précoces ne sont pas plus intelligents que les autres, mais présentent une intelligence différente. Ils ont donc des besoins particuliers que l’école ne voit pas toujours. Pour environ deux tiers d’entre eux, cela ne pose pas de problème : ces enfants arrivent à exprimer leur potentiel et donc à suivre un cursus scolaire plus ou moins normal. Sans aller jusqu’à dire qu’ils sont heureux – la plupart d’entre eux souffrent d’ennui – , ce sont des enfants pour qui ça va. A l’inverse, un tiers des enfants précoces se retrouve en grande souffrance. Le plus souvent parce qu’ils n’ont pas été reconnus comme tels. Ils sont incompris des adultes et se retrouvent très vite isolés.

Chez les enfants précoces, le relationnel est souvent catastrophique. Il y a un grand décalage entre leur âge affectif, jusqu’à neuf ans en retard parfois, et leur âge intellectuel, dont l’avance peut aller jusqu’à seize ou dix-sept ans. Un grand écart difficile à gérer. D’un petit rien, ils font une montage. Et ils accumulent souvent les maladresses avec leur entourage.

Ils n’ont pas non plus les mêmes centres d’intérêts, ne posent pas les mêmes questions que les autres élèves. Certains passent pour de vrais extraterrestres. Et plus encore quand ils souffrent de troubles tels que la dyslexie ou dyspraxie [difficultés à exécuter les gestes de l’écriture, ndlr], auxquels les enfants précoces sont particulièrement sujets.

Vous parlez d’une intelligence différente…

Ces enfants ont une très bonne capacité à comprendre mais pas à mémoriser. Ils connaissent souvent une réussite mitigée, bonne en mathématique et mauvaise en français par exemple. La plupart ont une capacité intellectuelle qui repose sur la mémoire analogique : ils comprennent un raisonnement et le reproduisent. Cela explique que certains enfants précoces qui réussissaient bien décrochent en quatrième ou troisième, quand on introduit la démarche nouvelle du raisonnement hypothéticodéductif. Finalement, la plupart des précoces sont de mauvais élèves alors qu’ils ont un haut potentiel.

Quelles sont les orientations ou dispositifs particuliers mis en place par votre établissement pour leur venir en aide ?

Dans notre collège, nous avons fait le choix d’insister sur la dimension relationnelle et la bienveillance avant de s’intéresser aux pédagogies adaptées. La plupart des enfants précoces qui arrivent chez nous ont voulu rentrer dans la norme et ont renoncé à ce qu’ils étaient, s’infligeant une  «automutilation intellectuelle». Notre objectif est donc de les réconcilier avec l’école et avec eux-mêmes. Il leur faut une reconnaissance de ce qu’ils sont et de leurs besoins. Ici, ils retrouvent une place.

Pour cela, on privilégie la relation affective. C’est la condition pour que ces enfants puissent entrer à nouveau sereinement dans l’apprentissage. Certains souffrent d’une véritable phobie scolaire. Ils ne sont pas prêts à entendre parler de résultats. Il faut d’abord qu’ils retrouvent le goût de venir à l’école. Même si au début ce n’est que pour rejoindre les copains. C’est déjà une avancée, car avant la plupart étaient isolés. Beaucoup ont de gros problèmes de sociabilité.

Dans le même temps, on essaie de provoquer leur motivation, pour qu’ils retrouvent une appétence, une certaine curiosité pour les choses.

Enfin, il faut leur donner le goût d’apprendre. Les enfants précoces aiment comprendre, mais pas apprendre. C’est notamment de là que vient leur mauvais rapport à l’école. Comme un mariage raté, où il y a de nombreuses attentes mais aussi d’incompréhension de chaque côté. L’enfant attend que l’école nourrisse son appétit de savoir, mais celle-ci lui demande aussi d’apprendre. C’est la désillusion. Apprendre demande un effort et les enfants précoces ont rarement le goût de l’effort étant donné leurs facilités. Peu à peu la relation décline, parfois jusqu’à la rupture. Notre rôle, c’est de faire en sorte que la réconciliation réussisse.

 

 

Source : Publié par Liberation.fr, le 20/01/2012

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut